La révolution romantique

Né à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre et en Allemagne, le ROMANTISME est un mouvement artistique et culturel qui s’étend à toute l’Europe au cours du XIXe siècle, et plus particulièrement jusqu’aux années 1850. Il est présent en littérature, en peinture, sculpture, musique et même en politique. 

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Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1817-1818.

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Le poète allemand Novalis (1772-1801)

 

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Caspar David Friedrich, Lever de lune sur la mer, 1822

Le mouvement romantique se caractérise par une volonté d'explorer toutes les possibilités de l'art afin d'exprimer ses états d'âme : il est ainsi une réaction du sentiment contre la raison, exaltant le mystère et le fantastique et cherchant l'évasion et le ravissement dans le rêve, le morbide et le sublime, l'exotisme et le passé. Idéal ou cauchemar d'une sensibilité passionnée et mélancolique.

 

Origine du mot

L'adjectif romantic nait en Angleterre vers 1650, dérivé de l'ancien français « romanz », il fait référence aux romans du Moyen Âge, les récits versifiés en langue romane, par opposition aux ouvrages rédigés en latin : « Romantic est proche de médiéval ou de gothique d'un côté, de romanesque, merveilleux, fabuleux, imaginaire ou fictif de l'autre. » Traduit en romantisch, l'adjectif passe en Allemagne à la fin du XVIIe siècle, où cette idée de « qui est semblable au roman » prend une connotation péjorative pour « éveiller dans l'âme le goût dangereux des chimères. » Au cours du XVIIIe siècle, il prend la signification de « comme dans un tableau », devenant synonyme de pictural car « dans l'expérience romantique, la nature est perçue à travers le prisme de l'art (originellement, le roman). » C'est dans cette acception que le mot fait son entrée dans la langue française avec Les Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau où il donne le qualificatif de romantique aux rives sauvages du lac de Bienne. Coïncidant avec la mode du jardin anglais organisant la nature comme dans un tableau, il s'associe à la notion de pittoresque.

À la fin du XVIIIe siècle en Allemagne, le romantisme, revenant à son sens médiéval, s'oppose à l'Antiquité et au Classicisme. Dans les années 1797-1798, le poète Novalis forge le mot romantisieren, désignant un processus de poétisation du monde : « Le monde doit être romantisé. […] Cette opération reste totalement inconnue. En conférant aux choses secrètes une haute signification, au quotidien un mystérieux prestige, au connu la dignité de l'inconnu, au fini l'apparence de l'infini, je les romantise. » August Wilhelm Schlegel, dans ses Cours de littérature dramatique, diffuse le concept de romantique en Europe, ramenant la poésie romantique à la poésie moderne, marquée par la tradition chrétienne, progressive, ouverte aux mélanges des genres.

 

Les thèmes caractéristiques

Vouloir embrasser tous les domaines artistiques et culturels pour en extraire des thèmes communs est une entreprise difficile. On peut toutefois, dans le cas du romantisme, se risquer à mentionner :

La négation de l'idéal rationnel des Lumières : les auteurs romantiques rejettent la raison prônée par les intellectuels du XVIIIe siècle. Selon eux, la raison n'est pas en mesure de révéler et d'expliquer le monde dans sa totalité et dans toute sa complexité. L'âge romantique effectue ainsi un progrès remarquable dans l'exploration des domaines de l'irrationnel : les sentiments, la folie, le rêve, les visions poétiques ou mystiques présentent aux yeux de cette génération une grande importance.

L'exotisme : pris au sens le plus général, l'exotisme romantique est une fuite hors de la réalité, tant spatiale que temporelle. S'éveille ainsi un intérêt particulier pour des pays et des cultures éloignées (comme celle des Indiens d'Amérique) ou des périodes historiques révolues, la plupart du temps idéalisées (Moyen Âge, Antiquité classique).      

Subjectivisme et individualisme : avec l'abandon de la raison des Lumières, tout ce qui concerne l'homme ou la nature n'est plus soumis, désormais, à un point de vue unique et universel. On approuve ainsi l'idée que chaque homme reflète en lui les mouvements de la nature et en produit une manifestation objective.

Reconnaissance des peuples et des nations : Conjointement à la valorisation de l'individu se produit, au plan collectif, l'émergence de l'idée de nationalisme. Cette idée contribue au développement des consciences « nationales » et suscite, chez les savants, un grand intérêt pour les formes d'expression populaire (contes, traditions), interprétés dans une perspective folkloriste. On s'intéresse aussi aux origines des nations d'où une grande passion pour le Moyen Âge, méprisé par la Renaissance et les Lumières, et désormais considéré comme l'époque mythique qui a vu la naissance des peuples de l'Europe moderne. Les œuvres médiévales deviennent ainsi des sources d'inspiration pour les poètes romantiques. Dans certains cas, les épopées d'Homère le sont aussi, étant considérées plus originales que les œuvres latines, en raison de la traditon orale et folklorique attachée au peuple grec.

Un retour à la religiosité et la spiritualité : outrepassant les limites de la raison, l'âme romantique est toute orientée vers l'infini et recherche en conséquence un appui dans la foi. On observe ainsi un retour à des pratiques magiques et occultes (produisant parfois d'importantes découvertes scientifiques, notamment en chimie).

L'essor des sciences historiques : alors que le siècle des Lumières considérait l'homme rationnel comme digne de transcender son contexte historique, l'âge romantique réaffirme une vision de l'homme en devenir et soumis à l'évolution des temps. De nouvelles disciplines scientifiques voient ainsi le jour comme la numismatique, l'épigraphie, l'archéologie, la philologie. On peut citer deux théoriciens importants de cette approche plus scientique et objective de l'histoire : les allemands Barthold Georg Niebuhr (1776-1831) et Theodor Mommsen (1817-1903).

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John Martin Le Grand Jour de la colère de Dieu, 1853.

Les points cardinaux de la sensibilité romantique

Partant de l'idée que le mouvement romantique est essentiellement animé par un désir et une quête d'infini, on peut tenter de circonscrire son domaine entre quatre points cardinaux.

L'absolu et le titanisme : l'infini immanent à la réalité (confondue en fait avec la nature) provoque en l'homme une aspiration constante, et dévorante, à l'immense et l'illimité. Cette soif d'absolu engendre un comportement caractérisé par le mythe antique des Titans, persévérant dans leur volonté de se libérer des prisons de Zeus et conscients, tout à la fois, d'être condamnés pour l'éternité.

Le sublime : selon les romantiques, l'infini engendre en l'homme un sentiment de terreur et d'impuissance dénommé « sublime ». Ce sentiment n'est pas forcément perçu sous un aspect violent  et négatif mais, au contraire, peut provoquer un plaisir confus, dans lequel l'horrible, l'épouvantable et l'incontrôlable peut présenter une sorte de beauté. L'orage ou la tempête, contemplés d'un abri sûr, en sont de bons exemples.

La Sehnsucht : mot allemand intraduisible, la Sehnsucht peut signifier diversement le « désir du désir » ou, encore, une maladie du désir. Elle peut aussi signifier l'aspiration à une patrie imaginaire.  La Sehnsucht est la conséquence directe de la confrontation de l'homme à l'absolu, elle est un sentiment qui afflige le sujet et le pousse à dépasser les limites de la réalité commune, oppressante et suffocante, pour se réfugier dans l'espace du rêve ou dans une dimension qui transcende l'espace-temps.

L'ironie : la conscience de la finitude des choses de la nature ou des choses produites par l'homme engendre l'ironie. L'ironie, à laquelle Socrate recourrait déjà pour déstabiliser ses interlocuteurs, constitue une attitude ambiguë qui suscite chez les romantiques une forme particulière d'humour, confinant parfois à l'absurde.

La liberte guidant le peuple

Eugène Delacroix La liberté guidant le peuple, 1830.

1848, le printemps des peuples

Le caractère passionné et révolutionnaire de l'âme romantique s'exprime aussi, on l'a rapidement évoqué, dans le domaine politique. Ce romantisme politique s'est en quelque sorte cristallisé autour de 1848. À cette époque, révoltes ou révolutions éclatent dans plusieurs pays d'Europe : Allemagne, France, Italie, Bohème, Hongrie... Un vent d'utopie traverse le continent, vent que symbolisent le tableau La Liberté guidant le peuple du français Eugène Delacroix ou, encore, la gravure de Frédéric Sorrieu, La République universelle démocratique et sociale (le Pacte) : « Y est peinte une procession de patriotes de différents pays, identifiables par leurs drapeaux et leurs costumes traditionnels, sexes, âges et classes confondus, tous reliés par un ruban et bénis par un Christ de fraternité. Tandis que la déchéance des monarchies est symbolisée par un sol jonché d'attributs royaux, l'arbre de la liberté et la statue allégorique de la République dénotent la prégnance du modèle de la révolution française au cœur des utopies de 1848, où l'universalisme se pense dans un cadre exclusivement européen » observent les historiens Etienne François et Thomas Serrier. Cette même contradiction se retrouve dans la Manifeste du Parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels rédigé à la même époque (1847)... « les contours pratiques du socialisme utopique qui s'y exprime épousent les limites étroites de l'Europe occidentale “moderne”».

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Lord Byron en tenue albanaise, par Thomas Phillips National Portrait Gallery, Londres

Présence du romantisme littéraire dans les nations européennes

Allemagne : Le premier romantisme, appelé Frühromantik, naît en Allemagne à Iéna. Le cercle de Iéna est très cosmopolite. Il est composé de figures telles que Novalis, Ludwig Tieck, Frédéric Schlegel qui se réclamaient proches de la pensée du philosophe Johann Gottlieb Fichte. Ce sont eux qui élaboreront la doctrine romantique et le romantisme politique. Après 1804, le romantisme allemand prend une nouvelle direction, c'est la Hochromantik de l'école de Heidelberg avec des noms tels que Clemens Brentano, Joseph von Eichendorff, Achim von Arnim et les frères Grimm, Jacob et Wilhelm. La dernière période, la Spätromantik, s'étend de 1815 à 1848.

Autriche : le romantisme allemand fut accueilli avec méfiance en Autriche et ne donna pas lieu à beaucoup d'émules. Le mouvement autrichien contemporain à la période est en fait appelé « Biedermeier » (1815-1848). Ce terme, au départ dépréciatif, a été inventé vers 1900 à partir du pseudonyme Gottlieb Biedermeier, que le juriste et écrivain Ludwig Eichrodt et le docteur Adolf Kußmaul prirent en 1855 pour publier des poèmes variés dans les Fliegende Blätter munichoises, parodiant les poésies naîves du bien réel instituteur de village Samuel Friedrich Sauter. Contemporain des styles Restauration et Louis-Philippe, le Biedermeier désigne d'une part la culture et l'art bourgeois apparus à l'époque, et d'autre part la littérature de ce temps, tous deux sont méprisés parce que « sentimentaliste », « terre-à-terre » et « conservateurs ». Malgré la censure très sévère de l'Administration impériale, on compte néanmoins de grands auteurs. Parmi les plus connus : les poètes Nikolaus Lenau (1802-1850), Anastasius Grün ; le prosateur Adalbert Stifter (1805-1868) ; les auteurs dramatiques Franz Grillparzer (1791-1872), Johann Nestroy (1801-1862) et Ferdinand Raimund (1790-1836).

France : Si le romantisme a été en Allemagne en partie un retour aux fonds originaire de la nation, répudiant le classicisme et l'imitation des Français, ce fut, en France, au contraire une réaction contre la littérature nationale. Pays de culture et de tradition gréco-latines, la littérature française était classique depuis la Renaissance, et l'on appelle romantiques les écrivains qui, au début du XIXe siècle, s'affranchissent des règles de pensée, en opposition au rationalisme et au matérialisme des philosophes du XVIIIe siècle. Comme en Allemagne, cette révolution  s'est accomplie progressivement. Préparée au XVIIIe  siècle, contenue et même refoulée pendant la Révolution et l'Empire, elle n'est arrivée à maturité que sous la Restauration, en 1815, et son triomphe ne s'est confirmé que vers 1830 qu'après des luttes ardentes et passionnées. Germaine de Staël, René de Chateaubriand, Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Théophile Gautier, Alfred de Vigny, Alexandre Dumas et Alfred de Musset comptent parmi les figures majeures du mouvement romantique français.

Grande-Bretagne : Dans les années 1760 les Graveyard Poets (« les Poètes du cimetière »), en particulier Thomas Gray avec son Élégie écrite dans un cimetière de campagne, sondent les sentiments liés au deuil, à la perte et à l'anéantissement, voire à l'horreur de la putréfaction des corps, aux émotions malséantes. En 1764, Horace Walpole, avec son roman Le château d’Otrante, créé un nouveau genre : le roman gothique (The Gothic Novel). Repris par Ann Radcliffe, dont Les Mystères d’Udolfe, le Roman de la forêt et L’Italien connaissent un vif succès, ces romans noirs exaltent le goût pour le morbide, le terrifiant, le mystère, autant que l'inquiétante étrangeté des ruines médiévales. Avec son Pèlerinage de Childe Harold paru en 1813, Lord George G. Byron connaît une célébrité foudroyante. Son héros qui traîne sa mélancolie désenchantée à travers l’Europe et l’Orient devient le modèle du héros « byronien » que l’on retrouve dans ses poèmes orientaux : Le Corsaire, Le Giaour, La Fiancée d’Abydos… Sa vie scandaleuse et sa mort, en 1824 à Missolonghi, pour la cause de l’indépendance grecque, font bientôt de lui un mythe. Son influence poétique et politique sur toute la jeunesse européenne est immense : les jeunes auteurs veulent écrire comme Byron, les révolutionnaires veulent mourir pour la liberté comme Byron, phénomène qualifié par ses contemporains de « byronisme ».

Italie : Le principal écrivain romantique italien est Alessandro Manzoni. Né en 1785, il est le petit-fils du philosophe Cesare Beccaria et grandit dans un milieu imprégné des idées des Lumières, libéral et anticlérical à Paris. Converti au catholicisme par des prêtres de sensibilité jansénistes, il commence sa vie littéraire en retournant en Italie à la fin de l'Empire. Il célèbre le catholicisme dans ses Hymnes sacrés (1815) mais également les révolutionnaires de 1821 en composant une œuvre militante pour la liberté de l'Italie en mars 1821. Son plus grand succès est Les Fiancés (I Promessi Sposi), qui connaissent trois versions différentes, entre 1822 et 1842. Ce roman, véritable emblème du romantisme italien, raconte les malheurs, dans le royaume lombard du XVIIe siècle, de deux jeunes paysans dont l'amour est contrarié par l'occupant espagnol, sur fond de guerre, d'injustice, de peste mais aussi de foi profonde. Ce roman est exemplaire dans la vie littéraire italienne du fait qu'il raconte l'histoire de l'Italie à travers le regard des humbles et non des puissants. Les Fiancés est une œuvre incontournable de l'éveil intellectuel de l'Italie du XIXe siècle et demeure un succès éditorial exceptionnel. Son rôle dans la définition de la langue italienne est d'une telle importance qu'on le considère, à la suite de la Divine Comédie, comme l'archétype de la prose nationale italienne. Une autre grande figure du romantisme italien est le poète et philosophe Giacomo Leopardi (1798-1837). La profondeur lyrique de sa poésie lui a valu une reconnaissance mondiale. Ses méditations métaphysique et poétique sur le tragique de l'existence en ont fait un précurseur de Schopenhauer, de Nietzsche, de Freud et de Cioran.

Espagne : le romantisme espagnol est assez confus et peu reconnu, tiraillé entre des idéaux révolutionnaires et un retour à une tradition catholique et monarchique. Si l'Espagne fut un sujet romantique et exotique pour beaucoup d'Européens, sa propre littérature en témoigne rarement. À la suite des romantiques conservateurs (Walter Scott, Chateaubriand...), le Duc de Rivas et José Zorrilla exaltent les valeurs patriotiques et religieuses qu'avaient tenté d'abolir les rationalistes des Lumières. D'autres auteurs, comme José de Espronceda, s'inscrivent en faux contre ce conservatisme et revendique les idéaux d'un Byron ou d'un Hugo. L'Espagne engendre toutefois un courant littéraire original appelé costumbrismo (de l'espagnol costumbre : coutume, mœurs, tradition), principalement représenté par l'écrivain Ramón de Mesonero Romanos. Attaché à peindre les usages sociaux et les classes populaires, ce courant annonce à bien des égards le réalisme littéraire.

Portugal : le point de départ du romantisme au Portugal est la publication, en 1825, du poème Camões de Almeida Garrett. Le mouvement durera un peu plus de 40 ans et prendra fin avec la Question Coimbra (Questão Coimbrã), polémique qui agite le monde littéraire portugais pendant un semestre de l'année 1866. Elle oppose les partisans du romantisme réunis autour de la figure d'António Feliciano de Castilho à de jeunes écrivains et intellectuels, étudiants de Coimbra et ouverts aux idées nouvelles venues du continent européen. Cette polémique est le premier signe d'une rénovation idéologique et politique dans le Portugal du XIXe siècle. Trois générations de poètes et écrivains se seront ainsi succédés, parmi lesquels : Almeida Garrett, Alexandre Herculano, Antônio Feliciano de Castilho (entre 1825 et 1840) ; Camilo Castelo Branco et Soares de Passos (1840-1860) ; Júlio Dinis et João de Deus (1860-1870).

 

Source des textes :

Wikipedia, dans différentes langues

Etienne François et Thomas Serrier (eds), Lieux de mémoire européens. Avant-propos de Pierre Nora. La Documentation française, Paris, 2012.

Sauf mention spéciale, les illustrations des articles sont issues de Wikimedia.

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